Interview Nathalie Olax

De quelle planète viens-tu ?

Je ne sais pas, si je peux définir une seule planète parce que tout au long de ma vie, je suis passé par plusieurs étapes, puis je me suis perçu de différentes manières.
Si on parle d’identité civique, d’identité de genre en tant que femme, d’identité ethnique en tant que personne non Blanche. Aujourd’hui je peux dire qu’en vivant en Espagne, j’ai d’autant plus conscience de ma nationalité dans un premier, temps mais surtout de ma condition de femme Noire. Ce n’est pas quelque chose ou une problématique qui m’obsède 24h sur 24, car j’évolue dans plusieurs mondes et j’arrive à m’adapter tant bien que mal.
Étant expatriée ici, je n’ai pas trop le choix pour pouvoir rencontrer ou m’entourer de mes semblables, c’est un peu compliqué, car je suis obligé de redéfinir ma fameuse planète et de faire parfois des concessions tout en préservant mon identité.

Qui es Nathalie ?

Nathalie est une femme de 45 ans qui je pense n’a pas encore trouvé son refuge. Elle réside à Barcelone et s’y sent bien, mais en même temps pense qu’elle serait bien n’importe ou dans le monde. Parce que Nathalie est toujours dans sa quête du bonheur, du bien-être.
Ma définition d’un refuge, c’est un endroit où je me sens bien ou je pense trouver une certaine stabilité émotionnelle et ne plus avoir toujours cette envie de bouger. La perception que j’ai de certaines personnes, c’est qu’elles ont déjà trouvé ce refuge, elles n’ont pas notamment cette nécessité d’aller voir ailleurs systématiquement et elles se sentent suffisamment bien avec elles-mêmes pour se suffire à elles-mêmes pour s’épanouir avec ce qu’elles ont.
Nathalie est quelqu’un qui travaille, qui n’a jamais rencontré de problème à ce niveau la avec une bonne évolution dans son secteur d’ activité.
C’est quelqu’un de très sociable avec pas mal d’amis qui fait de nombreuses d’activités, qui voyage beaucoup, toujours dans cette quête de voir ailleurs ce qui se passe.
En résumé, Nathalie est une Antillaise qui est issue d’une famille Caribéenne, de la Martinique et de la Guadeloupe. Qui reste en contact avec ses parents, sa soeur et qui entretient et maintient des liens très importants à ses yeux avec la Caraïbe.

Quelle serait la raison principale de ta présence parmi nous ?
Ou dit d’une autre manière qu’elle serait l’intention, le but de ton chemin personnel parmi nous ?

Ma réponse va être très terre-à-terre, je suis en Espagne. Ce n’était pas un choix particulier, c’est par le biais de mon entreprise qui m’a envoyé ici. Au départ, j’ai regardé cette destination avec de gros yeux en me demandant ce que j’allais faire là-bas parce que je n’y voyais pas du tout d’avenir. Après tout, comme j’avais toujours eu envie d’avoir une expérience à l’étranger, je me suis dit, tiens pourquoi pas. Après 8 ans, on ne peut plus dire que c’est le travail, c’est aussi la facilité, j’ai du boulot, il fait beau. J’ai construit un petit monde autour de moi et voilà aujourd’hui je suis là et demain je ne sais pas.

Que fais-tu dans la vie ?

Je vis tout simplement…
Je rencontre des gens, j’aime aller au cinéma, voyager, échanger, mais j’aime aussi me retrouver avec moi-même donc être seule par moment. J’ai réussi au fil des années à adopter cette solitude que j’apprécie, et j’arrive à faire la part des choses apour déterminer quand elle est imposée ou subie ou quand ce n’est pas le cas. Lorsqu’elle est choisie, c’est juste merveilleux, j’ai par moments également envie d’être seule même si je suis entourée de gens.

Je travaille dans le domaine des ressources humaines par choix donc j’ai de la chance. Venir à Barcelone faisait partie de mon cheminement personnel donc le boulot était accessoire, agréable aussi parce que cela m’a permis d’arriver de manière confortable. La contrepartie était de s’épanouir et de trouver des moments de bonheur au quotidien.

Quelle a été ton expérience en tant qu’Afro-Européenne ou Afro-Caribéenne ?
Comment as-tu vécu ton intégration ?

C’est un parcours qui débute depuis l’enfance, je pense que très tôt, on est déjà conscient.Tu vas identifier et reconnaître ta différence pour la première fois lors d’un incident, finalement, c’est rarement dans un contexte positif ou agréable. Dans la petite enfance en tout cas à mon époque, cela se résumait au fait d’être Noire.

Je me reconnais et m’identifie en tant qu’Afro-Caribéenne et Française personnellement. En tant qu’ Antillaise, je suis passé par plusieurs étapes. La première ou j’étais bien dans le système français, ma mentalité tournait autour de la nationalité et rien d’autre avec un petit passage à vide pendant l’adolescence, ou je me cherchais un peu et je me définissais en tant que Caribéenne pour ensuite m’apercevoir que je n’étais pas seulement cela, passant du coq à l’âne pour un retour vers une identité Française.
Quand j’ai commencé à voyager, j’ai dû défendre à plusieurs reprises mon identité Française parce que systématiquement, les pays d’accueil tels que le Venezuela, le Sri Lanka, la Turquie, remettaient en question la légitimité de mon identité, il me fallait prouver qui j’étais avec carte d’identité à l’appui dans n’importe quelle conversation avec les gens.
L’idée qu’il existe un problème réel a commencé à germer dans mon esprit, un problème par rapport au fait que les gens ne peuvent m’identifier comme Française alors que je me définis en tant que tel.
C’est lorsque j’ai commencé à ouvrir les yeux et j’ai compris que la France exporte et promeut l’idée d’un pays et d’une population monochrome et à cette époque, il y a déjà 20 ans en arrière, c’était un phénomène plus que flagrant. Mais malgré tout, mes convictions sur mon identité n’étaient pas pour autant ébranlées tout en reconnaissant au même moment mon adoration pour la culture caribéenne et l’apport de l’africanité dans nos cultures.

J’ai dû certainement vivre du racisme de manière consciente et inconsciente.
En même temps je n’avais pas l’envie de m’arrêter là-dessus et j’ai choisi de ne pas lire ou m’étendre sur le langage non-verbal, je ne m’en porte pas plus mal. Je me souviens avoir vécu deux ou trois événements sans gravité ou vraiment, on te fait comprendre qu’on ne veut pas de toi et qu’on ne t’aime pas à cause de ta couleur de peau.
À cette époque, je me sentais bien parce que j’ai toujours évolué avec ma communauté et c’est ici que je me reconnaissais dans une partie de ma culture Afro-caribéenne plus qu’ Afropéenne.
Par contre vis-à-vis des personnes Blanches, je fais partie d’une génération où on taisait tout ce côté très marqué de l’Afro-descendance. Même dans mes goûts personnels, je n’étais pas franche ou ouverte. Il est vrai que je me souviens d’avoir été avec des connaissances Blanches avec qui je partageais des goûts musicaux et je n’avais pas du tout cette honnêteté de dire:
“moi, j’aime le hip hop, le r’n’b parce que je savais ce qui allait suivre derrière. Comme quoi c’est de la musique de banlieue, de racaille, etc…Je ne pouvais avouer à voix haute tout un certain nombre de choses notamment le type d’éducation spécifique inculquée par ma famille, car j’avais assimilé tous les stéréotypes sur les Noirs en général.

En prenant de l’âge en arrivant en Espagne, pays qui n’a pas de lien avec les Antilles francophones, j’ai commencé à me libérer de tout cela.
La chose intéressante, c’est qu’ici, je suis une Française de façade ou de papier donc je n’ai pas eu de problème avec la question qui venait derrière:
“mais d’où exactement ?”
En France la question était systématique avant même qu’on essaye de te connaître et de te situer en tant qu’individu.
J’ai l’impression en tout cas que le regard ici est totalement différent parce que les Antilles dites Françaises ne sont pas des colonies espagnoles.
J’imagine donc, qu’il n’y a pas tout ce rattachement des stéréotypes et stigmas qu’il peut y avoir ici avec les communautés hispaniques.

À la même période, j’ai commencé à m’intéresser aux réseaux sociaux ce qui m’a facilité un peu plus ma libération en tant qu’Afro-Caribéenne.
Car ici retrouver ma communauté m’a été très difficile et c’est un manque considérable et douloureux encore aujourd’hui.
Pouvoir s’identifier et parler de ses problèmes est primordiale, car les gens qui m’entourent de majorité Blanche ne peuvent se projeter ou comprendre la spécificité de ma condition de femme Noire, ou des problèmes que je rencontre face à la discrimination ou le racisme qui touche ma communauté. J’ai tenté l’expérience de l’échange à plusieurs reprises jusqu’à me dire, c’est bon, j’arrête, c’est inutile. Heureusement que je vais souvent en France pour me ressourcer avec mes amitiés Afros de longue date. Mais ici, en comparaison, c’est une carence, une absence plus que ressentie. Les réseaux sociaux m’ont beaucoup aidés en regardant des vidéos, en lisant des articles et des blogs sur ses questions et surtout des émotions sur lesquelles je n’arrivais pas à mettre des mots. Quand je voyais des femmes et des hommes parler des mêmes situations qui intellectualisaient ou conceptualisaient, je me sentais comprise. J’ai appris énormément de mots, d’expressions, sur le racisme, sur nos ressentis cela m’a fait un bien énorme et cela m’a servi pour devenir d’autant plus forte pour affronter des situations délicates. Cela m’a aussi permis de prendre de la distance et d’observer les personnes qui perpétuent ces schémas et comportements dans le quotidien.
Même si je ne pense pas avoir souffert de discrimination brutale ou directe, j’ai effectivement eu une ou 2 altercations frontales ici ou là, il a fallu appeler la police.

Il y a une chose permanente qui m’est insupportable ici, c’est l’association de mon corps de femme Noire à la prostitution de manière régulière, j’irai même jusqu’à dire hebdomadaire.
La différence avec le territoire français est pour moi plus que flagrante.
On ne m’avait jamais associé à la prostitution ou confondu pour une femme de ménage sur mon lieu de travail auparavant, car il semblerait que socialement, je ne peux évoluer qu’entre ces deux clichés, ici
Par contre en France, si on s’éloigne des grandes agglomérations ou grandes villes, je serais tout de suite le visage de la délinquance.
Le plafond de verre existe encore en France, mais malgré tout, il y a eu un long chemin parcouru pour que je puisse arriver à mon poste actuel.
Nos parents sont passés par là, il nous a fallu aussi essuyer les plâtres.

J’imagine qu’il s’agit de mon paradoxe. Car d’un côté en arrivant ici, on te rappelle l’objectivation du corps Noir, une précarité et un préjudice social en définitive un retour de 30 ans en arrière.
Pourtant, je ne peux pas dire que j’ai ressenti des actes injurieux ou racistes.
Sur mon lieu de travail je sens bien que dans l’inconscient collectif ou l’imaginaire du personnel, il est difficile d’admettre que j’occupe un poste à responsabilité et quelques anecdotes me l’ont démontré.
J’ai pu me rendre compte qu’ici la Femme Noire est complètement invisibilisée.
Considérée comme un objet. Personne n’attend d’elle réaction ou émotion.

Comment as-tu trouvé l’atmosphère ?

Je me sens bien, même si j’ai des hauts et des bas, c’est peut-être lié à l’âge, mais je me sens mieux qu’il y a 20 ans. Je ne dis pas que tout est rose, il y a encore des choses à régler, c’est peut-être parce que j’arrive à accepter de me connaître aujourd’hui. C’est une espèce d’auto-analyse, comme si j’avais la capacité de sortir de mon enveloppe corporelle et d’être à la fois le sujet et le spécialiste. Pour déchiffrer mes émotions et m’appliquer des gardes fous extérieurs ainsi que des règles internes de protection.

Qu’est-ce que l’Amour pour toi ?

Avant tout, c’est l’amour de soi, cet amour là se développe depuis l’enfance, il est complémentaire de l’estime de soi.
Tout dépend de la manière dont la famille l’a transmis ou si elle l’a transmis.
Il y a plusieurs formes d’amours qui te permettent de te construire et d’avancer dans la vie.

As-tu de la famille ou un réseau d’amis proche, où tu résides actuellement ?

J’ai des amis ici, mon réseau d’amis proches est en France. Ma famille, clairement est entre la France hexagonale, la Martinique et la Guadeloupe et en Angleterre avec ma soeur.

Ta définition de la spiritualité ?

Je n’ai pas de définition propre ou personnelle de la spiritualité. J’ai toujours détesté depuis ma tendre enfance tout ce qui est lié à la religion, à cause de cette obsession autour de la religion catholique. Mentalement, j’ai toujours associé la spiritualité avec religion, ce qui me donnait de l’urticaire.
Très tôt, je me suis défini comme non-croyante. Une chose est sûre, si on doit parler de spiritualité, c’est à l’intérieur de chacun d’entre nous. Après au bout d’un moment, passé le stade des conditionnements familiaux, communautaires, on se fait sa propre définition personnelle.
Que cela plaise ou non à certains, le problème n’est pas ce qu’ils pensent ou si ils sont d’accord avec tes convictions personnelles, ils doivent dans tous les cas accepter le fait que c’est un choix personnel.
J’ai toujours eu tendance à rejeter ce terme et en fait avec la lecture, l’analyse de différents points de vues savants ou intellectuelles, j’en suis arrivé à la conclusion que ce n’est pas synonyme de religion uniquement.
C’est une recherche en soi, c’est la recherche de soi, c’est aussi comme je disais auparavant s’extraire deux minutes de ce corps, de mettre d’un côté le spirituel et le corps de l’autre et d’analyser le tout.

Qu’est-ce qui te faire rire aux éclats ?

Alors, j’ai un rire qui est très marqué un bon gros rire gras caribéen, de Noire.
J’avoue que je ne l’ai jamais caché et j’aime l’idée qu’on arrête de penser lorsqu’on rit.
On remet le doigt sur toute cette ambiance Afro-Caribéenne qui me manque. Je ne sais pas, si il y a quelque chose entre nous que tu viennes d’Afrique ou de la Caraïbe, mais il existe ce petit je ne sais quoi, qui fait la différence et que l’on se retrouve entre nous.
On excelle dans l’auto-dérision malgré un lourd passé historique derrière nous.
Dans nos manières de raconter avec une éloquence très métaphorique, très imagée, quand on se reconnaît entre Noirs dans nos anecdotes, nos histoires.
Nos diverses Diasporas en mon sens on un point commun, un point d’union dans l’humour.

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