Amour, Solidarité et Femmes Racisées

Je ne sais pas vraiment à quoi correspond la « sororité », ni même si c’est un terme auquel je m’identifie. Si on doit comparer la sororité à la solidarité entre toutes les femmes d’un point de vue universel, je ne pense pas que, potentiellement dans le monde actuel où nous vivons, toutes les femmes soient mes sœurs et qu’elles me considèrent comme leur égale.

Premièrement, parce qu’historiquement les femmes Blanches ou le féminisme Blanc ont oppressé les femmes et hommes racisés et continuent de le faire aujourd’hui, et deuxièmement parce que je reçois régulièrement des attaques racistes de la part de certaines femmes Blanches. Je parlerai donc ici plutôt d’amour solidaire entre femmes racisées plus que d’une sorte de solidarité universelle qui pour moi n’existe pas.

Il est important pour moi d’avoir des modèles et des inspirations sur lesquelles me reposer. Je pense qu’on ne peut construire ni le présent ni le futur sans être conscient du passé et des différentes luttes et combats qui ont pu être menés.
D’où l’importance des modèles de « grandes sœurs » ou « mamans » dans mes positionnements liés à l’activisme.
J’espère n’offusquer personne avec l’usage du terme « maman » que j’utilise ici dans un sens affectueux et respectueux.

J’ai tout aussi bien comme modèle des femmes intellectuelles et/ou activistes connues, comme des femmes qui font partie de mon entourage que personnellement, je considère comme de grandes héroïnes.

Cette année, j’ai eu la chance de rencontrer deux grandes activistes anti-coloniales ou décoloniales et antiracistes qui sont Françoise Vergès et Houria Bouteldja, de pouvoir leur faire part de mes doutes, de mes questionnements, de mes critiques et de mes espoirs. Leurs regards affinés sur la situation actuelle, m’ont rempli de force pour pouvoir me projeter et continuer dans mes luttes et ma conception de l’activisme.
D’avoir pu voir depuis mon adolescence des femmes comme Christiane Taubira, femme Noire de la Guyane Française, avec un pouvoir oratoire, cette culture et cette force, ne montrant aucune peur et se confrontant aux différentes politiques dans les plus grandes instances républicaines a aussi été pour moi un très grand moteur.
J’ai pu compter aussi sur les conseils et l’œil critique de personnes proches de moi. J’en citerai deux ici : une Afro-Caribéenne qui se reconnaîtra et une autre femme Marocaine, qui sont pour moi des références importantes, ce sont aussi deux mères ce qui explique incontestablement leur combativité. J’ai passé de longues heures de conversations et d’échanges d’idées avec elles.
Je pense personnellement que ces échanges et ces différents modèles sont indispensables et nécessaires puisque je me considère une héritière de toutes ces femmes. Je ne pourrais sûrement pas m’exprimer ou avoir la place que j’ai actuellement dans ce monde sans les combats passés qu’ont mené ces femmes racisées. D’où l’énorme respect que je leur porte.

Nous devons être conscientes des combats d’hier pour guider ceux d’aujourd’hui, de demain et ne pas oublier que nous sommes redevables de leurs combats passés dans le positionnement que nous avons aujourd’hui.

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J’ai tout aussi bien comme modèle des femmes intellectuelles et/ou activistes connues, comme des femmes qui font partie de mon entourage que personnellement, je considère comme de grandes héroïnes.

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Dans un deuxième temps, je voudrais parler de l’aide et l’appui moral et psychologique de mes sœurs de condition qui pour ma part sont aussi indispensables pour notre stabilité émotionnelle, dans notre vie quotidienne ainsi que dans nos luttes. Il est difficile d’aider d’autres personnes quand nous ne sommes pas en paix avec nous-mêmes.
Le racisme n’est pas quelque chose de ponctuel, sinon un système structurel auquel nous devons nous confronter inlassablement dans notre vie quotidienne. Les insultes, les attaques répétées, les discriminations incessantes, peuvent affecter l’intégrité de nos personnes et amener à des points de saturation ou au pétage de plombs pour le dire plus vulgairement.

L’amour et le soutien entre femmes racisées est donc primordiale. Ce soutien peut s’exprimer dans de simples petits gestes entre femmes mêmes inconnues, ou peut se manifester comme un appui bien plus vital de personnes de notre entourage avec qui nous pouvons nous permettre de décharger émotionnellement nos problèmes, nos crises, nos tourments. Ou nous pouvons adopter ou endosser à tour de rôle la fonction de la personne ayant besoin d’appui et celle qui écoute ou rassure. Pour ma part, je ne vois aucune obligation dans le fait de devoir écouter les autres quand elles en ont besoin, je pense que c’est une attitude qui va de soi qui est élémentaire.

Comment peuvent se manifester ces petits gestes de la part d’inconnues ?
Je donnerai un exemple rapide ici qui dans le fond peut paraître totalement insignifiant, s’il est pris en compte dans le contexte du cas unique, mais tous ces petits gestes du quotidien répétés à l’infini peuvent former dans leur ensemble une vague, une très grande force solidaire.

Il y a quelques semaines déjà, j’assistai à un concert où étaient invités plusieurs artistes Sénégalais, le public hors norme était donc constitué d’une majorité de corps racisés. Je suis une personne de petite taille, je dois donc surveiller en permanence ce qui se passe autour de moi pour ne pas être malmenée par des hommes Blancs, et j’insiste sur le Blanc du fait que les hommes racisés eux aussi font attention à moi.
Où est donc l’amour racisé entre femmes là-dedans ?
En avançant vers la scène, j’ai pu croiser plusieurs de ces femmes et toutes en me voyant, me faisaient des sourires complices et faisaient attention à moi pendant que je traversais la foule. Une fois arrivée à mon point de mire pour regarder le concert, j’étais bousculée constamment par un homme Blanc de grande taille malgré mon insistance pour qu’il fasse attention à ma présence.
Immédiatement une femme racisée qui était à côté de moi, a posé la main sur mon épaule et m’a demandé :
« Ça va ? Tout va bien ? ».
Je lui ai souri, je lui ai dit :
« Oui, merci ».

Ce genre de petit détail qui paraîtrait insignifiant pour le commun des mortels est pour moi essentiel dans ce que représente l’entraide quotidienne ou la bienveillance entre femmes racisées.
D’un point de vue plus profond ou plus émotionnel, il m’est déjà arrivé, et m’arrive encore, d’avoir des moments de grand doute, de points de rupture importants qui m’affectent personnellement. Je pense aussi souvent que je suis une personne privilégiée et que de ce fait je ne suis pas là pour me plaindre sachant que d’autres personnes de ma propre condition vivent une réalité bien plus compliquées que la mienne, mais comme je l’ai dit auparavant, il est important d’être bien avec soi-même si l’on veut pouvoir aider les autres dans leurs difficultés. En cela l’amour entre femmes racisées est important.
J’ai toujours eu plusieurs de ces femmes dans mon entourage qui ont été là pour écouter ma frustration et ma colère, pour ne pas me dire que j’exagérais, qui ne m’ont pas jugé, tout en trouvant les mots adéquats pour me tranquilliser dans les moments les plus difficiles.
C’est une base solide qui permet de garder une stabilité émotionnelle et ne pas perdre les pédales. La lutte antiraciste peut devenir très frustrante et anxiogène, du fait même du système auquel nous nous confrontons, d’où la primordialité de l’amour et du soutien entre nous.

Voilà ce que représente pour moi l’Amour Solidaire entre Femmes Racisées, c’est un amour inconditionnel et puissant qui me permet chaque jour d’avancer plus sainement et un peu plus dans mes luttes.
Pour finir étant une héritière des mouvements antiracistes et décoloniaux, je citerai ici Louisa Yousfi qui nous parle de la position de ces femmes au sein des luttes :

« Dans tout le mouvement antiraciste et décolonial, des premières luttes de l’émigration à celles d’aujourd’hui, jamais les femmes n’ont été aussi présentes, actives, engagés et visibles sur le terrain des luttes. Regardons autour de nous, dans toutes les organisations qui émanent de ce mouvement antiraciste et décolonial duquel nous nous revendiquons, dans leurs instances les plus décisionnelles, dans leur direction stratégique, les femmes de l’immigration sont incontestablement les chevilles de la lutte qui se mène actuellement sous nos yeux. Qui oserait nous regarder en face, militantes antiracistes et décoloniales, et nous dire que nos intérêts spécifiques de femmes sont écrasés dans une lutte qui les ignores lorsque c’est nous-mêmes qui en sommes à la tête ? »

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